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29 septembre 2010

Masure

                                                              Masure

               On n’y pense pas assez : on devrait commencer par prononcer doucement les mots qu’on aime pour vérifier s’ils sonnent bien.

Pour cet article j’avais d’abord retenu «guerre » ou  « maladie » et j’ai finalement choisi la modestie avec masure. Je garde les mots ambitieux pour plus tard, pour la bonne bouche. D’ailleurs en parlant de bouche, masure ne sonne pas si mal. Essayez, vous verrez comme il est agréable à l’oreille. Attention ! Avant de le prononcer à voix haute, vérifiez que vous êtes bien seul, ne passez pour un gogol auprès de vos proches. Masure, masure, masure…

               J’imagine que ce mot vous fait penser à chaumière, la chaumière de votre cœur, comme dans la chanson. Franchement, c’est pas pareil. La masure vous a un petit côté décrépit, abandonné, qui sied beaucoup moins à chaumière. Comme elle, la masure est  pauvre mais, de plus, en déshérence, à l’abandon, propice  à l’errance des idées qui s’évadent aisément par la multitude de ses interstices. Si vous passez près d’une masure et que vous croisez une idée, soyez vigilant, il ne faudrait pas vous cogner et vous faire mal. Ne la détruisez pas ; on ne sait jamais, une idée peut être bonne ou intéressante, utile même, il faut la garder. D’autant que par opposition quasi naturelle les idées sorties des masures risquent d’être riches, forcément.

               C’est ça la différence. Dans les chaumières on loge Blanche Neige ou le Petit Poucet,  voire Peter Pan ou Alice au pays des Merveilles, dans les masures on entasse

les vagabonds, les oubliés solitaires ou les travailleurs immigrés. Quel contraste !

Et pour la potion magique de

la Belle

au Bois Dormant, il faudra repasser dans une autre vie. D’ailleurs, la chaumière est gentiment construite à l’orée du bois et fume sa cheminée aux yeux de tous, tandis que la masure se cache sous les arbres, en plein milieu de la forêt pour que ses habitants n’y soient pas facilement retrouvés.

               Trois bouts de bois empruntés à la porte d’un dépôt, une vielle porte abandonnée à la décharge, une tôle rouillée pour le toit et des cageots récupérés sur le marché et voilà la masure. De Djakarta à Port au Prince, de Prétoria

Au Caire, de Rio à Mexico, de Shangai à Cho Lon, c’est plein de diversité ou de matériel couleur locale. Toutefois c’est partout la même idée qui prévaut, la pauvreté.

               Elle vous trotte dans la tête cette misère des masures.

Femmes indiennes au teint sombre courbant gracieusement la tête sous le fardeau de  jarres pleines d’eau. Ces saris colorés qui font la queue près d’un filet d’eau famélique sont-ils gais ou tristes ?  Je pense à vous.

Enfants métis des favelas jouant au foot nu-pieds dans les ruelles de Rio. Dans quelle cabane avez-vous dormi à tour de rôle? Et malgré tout vous souriez en tapant dans une balle de chiffon. Je pense à vous.

Noirs éboueurs et dépouilleurs des tas d’ordures de Freetown ou de Djibouti. Sous vos regards usés les sacs que vous portez débordent de la honte de l’Occident. Je pense à vous.

Femmes noires encore, dans les campagnes d’Haïti, sortant des bras étiques sous de maigres chiffons pour fabriquer les galettes de boue qui rempliront le ventre gonflé de  vos enfants. Je pense à vous.

Foules compactes des villes d’Asie qui se déplacent, pantalons flottants sur le mat de peau, en essaims indistincts et étouffants, là ou la rue se confond avec la ville, le jour avec la nuit. On vous cache, on ne veut pas vous voir. Je pense à vous.

Gitans, Rom., et tous autres précaires de la déraison parqués dans des camps de fortune sous les bretelles des autoroutes. Je pense à vous.

               Cachez ! Cachez ces taudis.

               Cachez ces odeurs.                  

Cachez ces plaies.

Cachez ces larmes dans vos masures.

 

                  

                                       

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  • Blog des mots. A partir d'une définition de mots simple, ce blog raconte l'actualité, effleure les sentiments, égratigne les gens et les hommes publics tout en s'efforçant de distraire. Gardons le sourire, les temps sont durs.
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