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4 octobre 2010

Encoignure

                                                           Encoignure

            Comme sous le tapis, la poussière des pierres et des plâtres fatigués s’accumule dans les recoins, juste à cet angle sombre des deux murs que le balai n’atteint pas et que la lumière ignore. Dans l’encoignure se dissimulent les secrets, ceux de la maison comme la mémoire intime de ceux qui l’habitèrent. Voilà pourquoi je l’ai choisi pour rompre avec la monotonie du « m » de mes derniers articles.

Rappelez-vous, la poussière de « La maison assassinée » devait recéler de tels secrets d’encoignure avant que les flammes ne s’en saisissent et les dévorent.

            

            Ah ! Si elle pouvait raconter. Elle en a tant vu discrètement des choses l’encoignure depuis son ombre. Elle a vu se caresser les mariés dans l’alcôve et les a vus vieillir et se déchirer plus durement chaque année du temps qui passe. Elle a contemplé en silence d’âpres discussions sur les affaires et les héritages, en silence bien que les murs aient longtemps résonné des éclats de voix et des disputes. Elle a vu se faire la richesse et se défaire l’opulence en pauvreté. On a raison de croire que si les murs pouvaient parler ils auraient beaucoup à dire ; et la raison n’a rien à voir là-dedans, que l’intérêt.

La joie aussi a éclaboussé l’encoignure : Celle du papy Victor qui ne se levait jamais de table sans avoir éclusé la dernière goutte de sa chopine de piquette et celle des ados qui faisaient la fête en bande quand les parents s’en allaient. Celle des ébats de leur  fille Céline qui convoquait le fils des voisins, chaque fois qu’elle était seule, pour lui montrer son encoignure perso et lui caresser la branche. Céline, elle est partie depuis longtemps. Elle vit à Figeac avec ses trois enfants et profite à chaque occasion avec son mari, de la science acquise pendant son enfance.

            Toutes ces histoires ne sont pas très modernes me direz vous. Dans nos immeubles et nos banlieues des encoignures il y en a partout et on n’en a rien à foutre. Pas si sûr.

Elle voit l’encoignure. Elle observe Soizic ou Fériel  qui étudient dans les cités pour être premières à l’école et s’endorment sur leurs leçons. Elle désapprouve Momo qui cache la dose de hasch de tout l’immeuble dans les vécé. Tu vas voir, si le père s’en aperçoit,  la tôlée qu’il va prendre Momo. Si elle pouvait, l’encoignure encouragerait le frangin Nicolas qui aime tellement le foot qu’il dort avec le maillot du club de la ville. Nicolas, s’il arrivait un jour à jouer en Nationale, ce serait le paradis. D’ailleurs son ballon est là, dans l’encoignure, elle le lui garde.

            Bon, ça suffit le peuple! A la niche des banlieues, le peuple! L’encoignure c’est aussi un meuble, un bureau de préférence ou une desserte, voire un genre de guéridon qu’on met dans l’angle de la pièce pour faire bien. En loupe de noyer ou cœur de chêne, très classe, l’encoignure, très cher chez l’antiquaire. Imaginez ce coin avec un bouquet de roses sur un napperon de dentelle hérité de la vieille Adèle, celle qui n’avait que la broderie dans sa vie vu qu’elle n’était pas mariée, inégalable brodeuse. Et puis les roses c’est le bouquet, si j’ose dire.    

            

            Avec les souvenirs l’encoignure fait penser à tous ces replis de nos mémoires.

Le miroir-gouffre de notre esprit et la tombe de nos aventures. Comme nos vies finissent toujours dans l’impasse, dans l’encoignure on voit vite arriver le silence, la perte outrecuidante de cet espace minuscule que nous avons occupé. L’oubli finit par se caser là et c’est bien ainsi.

Faites place et rappelez vous Victor H.

            Au fond, dans l’encoignure où quelque humble vaisselle

            Aux planches d’un bahut vaguement étincelle...

Qui dit mieux ?

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