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6 octobre 2012

Corricolo

                                              Corricolo

                       Enfin un mot qui sonne, qui claironne même, mais ne cherchez pas de coq pour le chanter. A propos des omnibus à chevaux un lecteur, aussi érudit qu’ami, m’a fait remarquer que, dans sa bonne ville d’Alger, quelques vieux se rappelaient du charme des corricolos qui parcouraient autrefois les rues de la Ville Blanche. Renseignements pris il s’agissait d’une carriole attelée d’un, puis deux chevaux, pour transporter jusqu’à quinze voyageurs derrière un cocher parfois si serré qu’il se tenait debout. D’après Dumas qui en a fait toute une histoire, elle leur venait d’Italie et le transport était assez pittoresque et mouvementé pour avoir marqué les esprits bien après sa disparition. Fouette cocher !

            Imaginez les claquements du fouet, les jurons en patois milanais mâtiné d’arabe en l’occurrence, le crissement des roues sur les pierres du chemin, les commentaires, les plaisanteries des clients chahutés et même quelques hennissements protestataires des rosses harassées. Oubliées à jamais l’odeur aigre des attelages traités à l’huile qui rancit doucement au soleil, la sueur excitée des chevaux dans les montées, la fébrilité du cocher pressé d’en finir avec sa course, ses habits qui diffusent les relents des haridelles de toute la ville et ceux, si précieux au jardinier comme au moineau de la chanson, du crottin que les enfants se disputent armés d’un seau et d’une pelle. Quel dommage pour les rosiers ! Et n’oublions pas, couleur d’époque, la moustache de rigueur des passagers et conducteurs, soit frisée, soit en pointe ou même taillée en brosse, les pompons qui faseyent au rythme des grelots et autres clochettes qui scandent les cahots et préviennent de l’arrivée de la voiture.

           On n’empruntait ce véhicule pratique mais peu confortable que pour  quelques kilomètres, sans doute en ayant accepté d’en supporter le modeste confort pour prix d’économiser quelques efforts et les semelles de ses souliers, pour ceux qui en portaient. L’histoire dit aussi que les autorités firent du corricolo une superbe affaire quand plus de 300 voitures et des centaines de chevaux sillonnaient leur bonne ville. Pour le plaisir du spectacle, aux corricolos il faudrait ajouter les ânes, les mulets, les chevaux  et surtout les calèches des gens aisés avec les diligences à grands attelages qui provoquèrent, sans doute, quelques embarras et altercations dans les rues d’Alger comme autrefois à Paris.    

           Voilà qui n’aurait pas facilité les rêveries des érudits voyageurs d’Italie que furent Stendhal, Dumas et bien d’autres. Pourtant, ces enfants pieds nus et dépenaillés qu’on découvre souriant au bord des  charrettes sur quelques photos jaunies ne mouraient-ils pas d’envie de prendre un jour la place du conducteur ? Des amants pressés n’ont-ils  pas sauté à la course sur un marchepied  afin de rejoindre leur belle au plus vite et, pour à peine cent sous, oublier dans ses bras les avanies d’un maître ou les reproches d’un patron mal embouché ? Des fugitifs peut-être, se dérobant aux conséquences d’un forfait,  d’une dispute ou d’un mari jaloux n’ont-ils pas dissimulé leurs acabits sous le parasol d’un corricolo parmi d’autres passagers plus ordinaires ? 

            Alors rêvons! Nous pourrions laisser quelques minutes notre auto fébrile au garage, pensons que nous avons le temps d’aller et de venir sans faire diligence, que le transport coûte à peine quelques sous. Il suffirait de faire signe au conducteur, de se glisser sur un siège d'antan et de laisser son humeur suivre l’allure tranquille des canassons. C’est l’air d’autrefois qu’on respire : sans carbone.

             

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