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5 décembre 2012

Gitan

                                                                                  Gitan 

        On apercevait sa roulotte, au loin dans le soleil, quand il franchissait le dernier virage de la route de Printegarde. Il menait son cheval par la bride, suivi par une femme en jupe longue. Au côté de l’attelage, des enfants marchant en désordre observaient les talus à la recherche d’une aubaine, fruit perdu ou vipère à capturer pour en vendre le venin. Ils nous venaient ainsi dans la lumière, du fond des âges et nul, dans les villages et les bourgs, n’aurait songé à leur contester le droit de s’installer dans le coin de l’esplanade ou du mail réservé aux gens de passage et même d’y allumer un feu. On les appelait aussi romanichels, tsiganes rarement, manouches  ou bohémiens, du nom du prince de ce pays qui, ne sachant d’où ils venaient, d’Inde peut-être, les envoya vers l’Ouest. Et depuis ils marchaient toujours et conversaient entre eux dans la langue de leurs origines.

        Quand ils restaient un moment, leurs enfants fréquentaient l’école ce qui nous faisait  découvrir comme ils étaient beaux sous leurs hardes avec leur teint de jais et leurs yeux sombres parfois traversés par des éclairs d’enfant sauvage. A cette époque nous les aimions les gitans ; même lorsque les parents s’indignaient de quelque paire de vieux draps disparus du séchoir au jardin, nous admirions leur force acquise dans la vie au grand air et leur adresse de virtuoses pour nous gagner les billes, « à la pure » ou à l’espagnole, en les tapant à cinq mètres d’un seul coup de pouce. Mystère ! Impossible de savoir ce que pensaient nos gitans, ils répondaient rarement aux questions et le  calme de leur regard noir vous intimait de rester à votre place avec vos demandes idiotes, sans réponse.

        En fait le gitan, un peu comme le manouvrier du Regain de Giono, est une sorte d’antidote du franchouillard.  Il reste à jamais indéchiffrable tandis qu’on s’agite au café d’Aubignane ou de SLV sur  l’évitement d’une taxe impayable par des gens honnêtes. Comme lui c’est un vagabond dont l’errance est sans autre projet que la prochaine étape. Comme lui il marche à l’écart, dans des vêtements pris ici ou là ou donnés par une âme généreuse puisqu’il se fiche du commerce et de la mode. Comme lui il est suspect. L’un porte parfois sur l’épaule la bêche avec laquelle il va se louer dans les champs, l’autre tient le fouet dont la mèche ne claque jamais que pour prévenir le cheval d’une ornière sans jamais lui effleurer le dos. Comme lui son espace a peu à peu disparu sous les bétonnières et l’usage immodéré du tracteur. Seulement voilà, sur les routes les gitans étaient presque invisibles tandis qu’on les repère vite dans les zones qu’on leur abandonne chichement  aux abords des goudrons modernes. Monsieur le maire de SLV que j’ai bien connu, ne se privait pas de dire publiquement tout le mal qu’il pensait du camp de la Baronne où il avait parqué quelques centaines de roulottes, entre une route de débordement de sa zone industrielle et le talus du fleuve. Coincés qu’ils étaient, ils vivaient d’expédients, scandaleux aux yeux de ceux qui les ignoraient ou qui avaient assisté sans le vouloir ni le savoir à leur exil si proche et incommodant.

        Il faut le dire la leçon de xénophobie venait de loin. Aragon déjà, prince de  l’ambiguïté,  avait écrit qu’il « il existe près des écluses un bas quartier de bohémiens »  où il trouvait à se distraire,  ce qui faisait de lui un précurseur du maire susnommé, bien qu’ils n’appartinssent pas au même monde. Avant la guerre, Django vivait dans une caravane des fortifs et les patrons des cabarets où il se produisait ne savaient pas comment le joindre s’il oubliait de venir. Pur esprit contradictoire, il fit équipe avec un violoniste rigoureux  et ordonné à l’extrême trop heureux  de partager son talent.  Selon les biographes l’un était prodigue et l’autre avaricieux, signe du destin de leurs peuples ? Allez savoir.  Aujourd’hui tout s’accélère, l’histoire des gitans file aux oubliettes avec leur nom  remplacé par celui de Rom qu’on leur affuble à l'aveugle, pour ne pas savoir qui ils sont, ni comme ils sont, logés sous des croisements d’autoroutes qu’on dépasse en vitesse le dimanche en rentrant de villégiature.

        Bien entendu Aubignane ne peut pas seule accueillir toute la misère d’Europe. Mais si le gitan s’efface c’est sous couvert de cette part d’ombre que nous portons sans l’avouer. Le nomade, le Rom, est l’exutoire facile, pauvre parmi les pauvres. Ecoutez pourtant, souvenez vous comme il chantait son nom l’ami gitan. Il passait sous nos fenêtres depuis si longtemps qu’on ignorait depuis quand. Au contraire de la légende injuste qu'on lui prête, il avait un projet: liberté.   

 

 

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