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18 décembre 2013

Echelle

                                                                             Echelle

                                   Méfiance. J’ai connu un quidam qui mourut en mettant le pied sur le premier barreau d’une échelle vermoulue. Celui–ci céda brusquement. L’homme tomba à la renverse, fit une mauvaise chute et finit promptement ses jours à l’hôpital. Sa veuve éplorée me reçut au second rendez-vous qu’il m’avait donné et me raconta l’accident idiot et ses conséquences sur une santé chancelante. Quand même. Faute de partenaire je dus renoncer à l’affaire que j’avais projetée avec le malheureux. J’en viens parfois à penser que le son « ch » d’échelle, utile à tant de mots, n’est pas vraiment neutre, voire funeste. Si l’on excepte la chance qui, comme le dit le proverbe, ne se trouve pas tous les jours sous le sabot d’un cheval, le rapprochement de l’échelle chancelante, de la chute, du chat noir et sa réputation mauvaise, du chat-huant, du charivari, du chambranle, du chaudron, et j’en passe, nous fait une drôle de chanson, chuintante peut-être. 

                        Parce que l’échelle ne sert pas seulement à grimper. Nous avons tous connu un professeur non pratiquant qui se référait néanmoins à tout propos à la fameuse échelle des valeurs, tellement intangible qu’il n’en acceptait aucune dérogation. Ranger Rabelais au côté de Bossuet pouvait même passer pour un ignorant sacrilège de temps et de style, méritoire d’une note subalterne et d’un commentaire humiliant en Rédaction. C’est l’époque où Anatole France était recalé à l’Académie, Claudel choisi plutôt que Céline dans les manuels de littérature et où Jean Genêt, si son existence avait été sue, aurait été jeté dans l’arrière cuisine avec ses Bonnes. Ah la morale ! Elle sert à dissimuler tant de choses. Il revient à la mode, nécessaire sans doute, de rappeler aux élèves de bon matin que la journée scolaire ne peut se résumer au plaisir personnel dans l’ignorance de son voisin, que l’écoute, la solidarité, le rire, le partage , le respect, la vérité, sont vertus cardinales en société, mais les anciens bons élèves constatent chaque jour que ces qualités sont peu de mise en pratique par ceux qui les prônent. Les informations falsifiées courent plus vite et plus nombreuses sur nos ondes que les émeus dans la savane australienne. 

                        Terrasser les concurrents, voilà ce qui importe à ceux qui tiennent les barreaux du haut. Hors de question de partager lorsqu’on est solidement accroché au sommet. L’échelle mobile des salaires, idéal économique des petits revenus toujours espéré, jamais atteint, a été rangée dans l’histoire oubliée des pertes et profits des trente glorieuses. La stagnation récessive qui a suivi se termine par la mise en scène grotesque des avantages réservés à un monde secret ou la lutte des places, apanage d’élites autoproclamées « nouvelle noblesse d’ancien régime », s’effectue dans le plus grand respect de l’échelon  atteint par ses bénéficiaires. Ainsi lorsque la prime de départ d’un grand commis d’état ou d’entreprise fait scandale dans les gazettes, on n’est plus surpris de découvrir que le prédateur parfois failli, est entouré de quelques dizaines, parfois davantage, de hauts dirigeants dont le bénéfice est strictement proportionné à leur place dans l’échelle hiérarchique.   

                         Les Sciences inventent à profusion toutes sortes de systèmes issus des mêmes principes escalatoires: classer, répartir, voir. Avec leurs, tables, courbes, camemberts, histogrammes, tableaux analytiques de répartition, on obtient souvent des résultats qui, s’ils ne sont pas toujours de la plus grande exactitude ou lisibilité, font parfois le plus heureux effet dans les pages d’un livre ou d’un journal. Pour peu qu’on y ajoute un peu de couleur sur un fond agréablement pigmenté, on peut arriver à des effets artistiques très heureux qui retiennent le lecteur. Pareil pour les échelles. Doubles, à pied, articulées, démontables, déployables, crochetables, toutes les formes, matériaux et usages sont admis. Les ailes des moulins font tourner au vent les plus simples. A chaque moment certains font la courte échelle, surtout pour regarder par-dessus un mur, d’autres grimpent à l’échelle en signe de colère, les enfants enfin dessinent à la craie des rails qu’ils s’escriment à franchir à cloche pied en poussant un galet.

                        Je leur donne raison : le jeu de la marelle va de la terre jusqu'au ciel                                                          

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