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30 juillet 2014

Commune de Paris

                 Comme le dit la chanson une si belle histoire ne saurait mourir, surtout qu'au féminin, le mot n'est pas si banal. En cette année où l'on fête le centenaire de la déclaration de la pire des guerres et à quelques jours de l'assassinat de Jaurès, qu'il soit donc permis de célébrer l'insurrection libertaire qui rassembla avant l'été, en Sorbonne, une assemblée émérite sous l'égide d'un écrivain spécialiste de l'évènement venu d'ailleurs tout exprès... de Cambridge. Et Robert Tombs, c'est de cet homme qu'il s'agit, de nous rappeler que la Commune fut d'abord un grand élan de fraternité, de citoyenneté, de partage, de joies et d'avènement personnel, en réaction à la tragédie guerrière qui s'était abattue sur le pays pour finir par terrasser son peuple dans la capitale.                     

                  Je me demande parfois si Jaurès, à qui d'aucuns se réfèrent sans titre et sans vergogne, était inspiré par ce drame lorsqu'il voulait sauver la paix. Il en mourut. Pour la majorité d'entre nous, que nous le voulions ou pas, la filiation communarde a imprégné nos bourgs et nos villages. Qui ne se rappelle ces prés et bois communaux ouverts aux pauvres par la révolution et dont l'existence s'est perpétuée jusqu'à l'aube de l'explosion urbaine. On y jouait ou promenait librement, on cueillait sans payer les fleurs et les fruits, pommes et poires ou prunes sauvages, on faisait en bande la guerre des boutons ou, discrètement en retrait, l'amour des enfants à coups de rires er de yeux partagés. Les secrétaires de mairie autorisaient sans hésiter les troupes de scouts et les patronages à y planter gratuitement leurs tentes sans durée établie. Un peu plus loin les plus actifs des maires construisaient des maisons communes à leurs administrés et c'est bien à la communale que nous apprimes nos alphabets.

                  Il faut donc qu'un Anglais nous rappelle notre héritage lorsque nous le négligeons. Je me souviens encore que la Commune fut le premier sujet de composition d'histoire de la classe de Première que je venais d'intégrer à mon arrivée à Paris. au milieu des années soixante. Notre professeur était une femme brune d'âge mûr, vilaine, peu souriante, dont la personnalité terrifiante faisait oublier la petite taille au premier regard. Elle arborait féminisme militant et médaille de la Résistance avec une énergie peu commune, un verbe acéré, et avait coutume de jeter hors du cours sans ménagement les élèves importuns ou dont les résutats étaient à son avis insupportablement médiocres. Avec une pareille femme il était inenvisageable de s'asseoir avant qu'elle ne montât en chaire ou d'arriver en retard. C'est pourtant ce qui m'arriva le jour solennel où elle rendait les notes de la composition, j'arrivai en classe quand tout le monde était assis et qu'elle ouvrait son cours. Je me préparai à me voir chassé après une algarade mémorable dont elle avait le secret. Loin d'être insignifiant l'évènement redouté s'accompagnait de plusieurs heures de colle. Il n'en fut rien. Elle sourit à la classe ébahie, s'empara du paquet de copies et appela mon nom en premier avec la note de quatorze, élevée pour l'époque, et rajouta que vu l'excellence de ma rédaction elle renonçait , pour la seule fois de sa vie professorale, à me flanquer dehors. La Commune venait de gagner une dernière bataille.

                  Pour l'humanisme partagé..., et mon soulagement, je chéris encore ma prof d'histoire à l'égal de l'élan citoyen de l'insurrection parisienne. A sa manière je me plais à imaginer qu'elle avait poursuivi en 1940 un idéal semblable de liberté, même, simple supposition, si ses faits et gestes avaient seulement consisté à trimballer du courrier ou des mitraillettes sur un vélo. Car rien n'est anodin lorsqu'on est sous le joug. En ces jours qui explosent au nez des peuples, Ukraine ou Arabie, ceux qu'on voit plier l'échine ou se répandre en propos dilatoires devant les massacres de civils ou les bombardements d'hôpitaux devraient en prendre de la graine. L'honneur des humbles supplante souvent l'indignité des puissants, comme le panache de ces institutrices blâmées en nombre sous Vichy Pour avoir refusé de faire chanter "Maréchal nous voilà" à leurs élèves. Ma mère en fit partie à qui je rends ici hommage ainsi qu'à ses compagnes.

                    Ainsi se parcourent les chemins de la mémoire. Le terreau des prés communaux de la première République a contribué à forger la conscience collective du roman national. Entre deux  le souvenir des cavaliers de Reichshoffen rôde encore le soir dans les propos des enfants autour des feux de camp et leur chorégraphie de ce chant vaut bien la légende des Niebelungen, les faits et gestes de Newski sur la Volga ou la quête de table ronde du roi Arthur sur son canasson. Et s'il ne s'agit plus demain de défendre un clocher ou un territoire il nous appartient de faire qu'on puisse encore se rejoindre par dessus les vallées, rire et parler sans crainte, se forger un destin commun en se gaussant des tricheurs. La commune des indignés bouge encore. 

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