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25 juin 2016

Cocagne

                                                                       Cocagne

                  Rien qu'en prononçant ce mot vous devriez sentir le suc des douces friandises se répandre sur vos papilles. Cocagne, c'est la ville des douceurs, de l'abondance des gourmandises, des mets raffinés et, s'il en est besoin, de l'argent facile. Parce que de la monnaie sonnante, devant tant de richesses, ce n'est pas vraiment nécessaire d'en disposer. Cocagne, était paraît-il un coin retiré de l'Italie, en un siècle tellement éloigné que la mémoire précise s'en est perdue. Il reste que cet endroit idéal a donné naissance à divers usages, dont le fameux mat auquel on accrochait le bonheur presque inatteignable, ou peuplé l'histoire de nombreux personnages dont l'opulence faisait envie. Chez nous, on pense à Cucugnan, dont le nom affiche une proximité sonore remarquable, bien que ses bienfaits, d'une autre sorte, soient davantage attachés aux moyens d'atteindre le paradis plutôt que de se gaver de la provende terrestre.

                 Méfiance! La gourmandise est un pêché capital. Si d'aventure le ciel nous en pardonne les excès, la nature serait bien capable de nous en faire payer le prix en kilos superflus, voire nous accabler de maux capables de faire chanceler nos santés. Fort heureusement de grands cuisiniers se sont décrétés chasseurs d'obésité en chef, au point qu'on ne sert plus dans les restaurants réputés que des assiettes aux trois quarts vides dans lesquelles on dispose, dans une essentielle harmonie, trois haricots verts, deux branches d'épinard, quatre petits confits d'oignons, autour d'une unique coquille Saint Jacques trônant sur un toast minuscule frotté de truffe. Voilà la nouvelle cuisine dans laquelle il n'y a rien à avaler, que l'addition. On peut regretter la gratinée d'oignons du petit matin, le pot au feu plat du jour, le boeuf bourguignon mitonné la nuit par les concierges, pleurer sur les farces odorantes dont on garnissait les poulardes, c'est en vain. Comme la poule au pot de Sully, tout est perdu. 

                 En vérité ce qui compte c'est le rêve. Les artistes du fourneau l'ont bien compris qui habillent l'indigence de leurs plats de noms si ronflants que le plus prolixe des écrivains pâlit de jalousie devant l'abondance de leur prose fleurie. Cocagne n'a jamais existé, vous pouvez me croire, que dans l'esprit de ceux qui espèrent un monde meilleur, celui dans lequel on servirait du tout cuit, on garnirait les rayons des magasins sans se fatiguer, on n'aurait que des amis bienveillants, enfin une belle personne disposée à l'amour au moindre signe. Cocagne, ce n'est que dans les livres ou les magazines, et encore, pour les naïfs. 

                 D'autres, cela me semble un peu tordu, ont choisi une autre voie pour atteindre plus vite le paradis, celle des artifices. Ils s'adonnent à des substances illicites parmi lesquelles ils ont tout le loisir de choisir entre une innocente fumette ou de multiples poudres épicées concoctées par la chimie, d'autant plus efficaces à produire du rêve qu'elles attaquent en proportion le bon fonctionnement des petites cellules grises. Avec ça, on fabrique des professeurs Tournesol à la pelle, avec l'inconvénient qu'ils n'inventent rien.  

                 Le mat de cocagne dressé si fièrement au milieu des prés symbolise une épreuve à laquelle nous sommes tous confrontés. Dans la course de la vie on a heureusement le droit de choisir son lot, son objectif. Jour après jour on s'échine pour arriver enfin au pied de l'arbre. Ensuite, il faut encore escalader jusqu'au sommet pour décrocher le pompon du manège. Quand c'est la fête au village, le plus fort hérite d'un jambon ou d'un chapelet de saucisse, rien de plus innocent. Dans la vie commune, celle du destin que chacun essaie de se forger, du projet qu'il essaie de faire avancer, on ne parvient pas toujours en haut du mat. Pour se consoler il faut se rappeler que peu importe le chemin ou l'arrivée. Du moment qu'on respire, l'essentiel est de grimper.

                 Pour fêter leurs dieux et leurs coutumes les anciens Grecs parsemèrent les îles et les villes de Méditerranée de statues érigées en phallus. J'imagine qu'il s'agissait là d'une autre manière de célébrer cocagne avant d'en inventer le mat. Ils étaient tant attachés à ces oeuvres sensuelles qu'Alcibiade fit scandale à Athènes en profanant l'une d'entre elles, avant d'être contraint à l'exil. Plus près de nous, au début de ce siècle, on pouvait encore voir en plein Béziers deux magnifiques érections phalliques posées là pour pour signaler l'ancienne entrée d'un quartier réservé, jusqu'à ce la pudibonderie d'un maire les fasse détruire.   

                  Non, monsieur le maire, le sexe n'est pas honteux. Le mat fièrement dressé comme Artaban, c'est la vie. c'est Cocagne.

                 

 

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