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29 août 2016

Camarde

                                                                          Camarde

               Ne craignez rien, ce n'est qu'une allégorie, une image. Bien sûr, elle est déjà présente le jour de notre naissance mais on l'ignore. Ce n'est qu'au fil des jours qu'elle s'impose, peu à peu, sans qu'on s'en rende compte et puis, un jour, quelques fils gris dans les cheveux, elle devient si proche qu'on l'apprivoise. De bon ou mauvais gré, on n'a pas le choix. D'ailleurs camarde est un mot fort, facile à prononcer, agréable à entendre, une bonne raison pour laquelle de nombreux auteurs l'ont mis en chanson de préférence au sujet qu'il évoque. J'enchaîne les évidences, je le sais. Sans doute une façon de se rassurer. Comme disait Queneau :"Je crains pas ça tellment." Tout ça n'est pas si grave que ce qui l'accompagne parfois, pas toujours. "Je crains bien le malheur le deuil et la souffrance". 

               Par exemple, je n'étais pas présent le jour de la disparition de mon ami François Soubeyran. C'est une de ses filles qui me l'a raconté. Tout la famille s'est réunie à ses côtés et il est parti sans drame, tranquille, sans crier gare, sans me prévenir, ne me laissant que des regrets. La tribu Soubeyran peuple ce coin de la Drôme depuis des siècles, les Camisards et sans doute avant, mais parmi eux François était une figure. Quand je l'ai connu il avait quitté le groupe chantant des Frères Jacques et il créait des poteries vers Dieulefit. "C'est ma vocation," m'a t-il raconté, "j'attends depuis l'enfance le loisir de sculpter la terre de mes mains, le chant c'était pour gagner ma vie." Rappelez vous, François était le plus grand, celui qui mimait le bras en l'air le mat du bateau dans la Marie-Josèphe. De ce moment lorsque j'étais dans la Drôme on se voyait tous les jours, on jouait au tennis sur le terrain municipal devant chez lui:"ça me soulage le dos disait-il", ou bien j'allais le chercher à l'aube pour escalader la Lance; trois heures après il arrivait bon premier au sommet et se moquait de mon souffle erratique: "ça t'apprendra à moins fumer." 

              Au fil des ans la camarde nous fait signe de plus en plus souvent. Même si ce n'est pas toujours à propos d'amis chers, on s'habitue. J'ai entendu un jour à la radio un vieil homme, psychanalyste de son état, expliquer que puisque c'est normal de disparaître il n'y pas lieu d'être triste, voire de rester gai. "L'inconvénient, ajouta t-il plein d'humour, vu mon grand âge je ne parle plus qu'avec des morts." J'aime  bien les psychanalystes âgés quand ils sont drôles. Et vous? Vous l'ignorez peut-être mais camard veut dire nez plat, camus. On lui a donné ce nom parce que la camarde n'a pas de nez lorsqu'on la représente, ce qui n'est pas flatteur et un peu ridicule. Dans tous les cas cela démontre que l'ironie est de toutes les circonstances.

              Et puis il y a ceux qui nous attristent, ceux qu'on ignore et même ceux que l'on honnit. L'Europe du siècle dernier a supporté une brochette de dictateurs dont nul ne regrette la morgue aussi immense que leurs exactions. Il faut même parfois cacher leurs sépultures. Certains, on les connaît, s'efforcent de prolonger leur règne dans ce millénaire. A mon sens le plus inquiétant ce sont leurs émules et leurs apprentis. Tous ces oligarques qui, une fois élus, ici même, prétendent détenir seuls le droit décider sans contrepartie et refusent le tour de céder leur poste, abusent la bienveillance des peuples. Il faudra bien que le siècle s'en débarrasse.

               Tout un chacun apprend à fréquenter les Parques. On aura beau faire, il faudra constater que le hasard ne change rien, n'épargne personne dans ces circonstances. Un jour ou l'autre il faudra regarder la faucheuse de face, impossible de reculer. En guise de consolation, dans des temps plus anciens on trimballait nos grands-pères une dernière fois dans des corbillards de bois verni, agrémentés de dorures, ornés de plumeaux colorés, tirés par des chevaux harnachés de passementeries argentées. Le défunt berçait tranquille au pas de l'équipage. On avait tout le temps de se recueillir en admirant l'attelage tout en évitant le crottin. Maintenant, le soulagement  est à la mesure de  l'époque, en peau de chagrin : on vous fourre dans une voiture qu'on distingue à peine dans la circulation, pour vous expédier sans délai à l'endroit que le maire a choisi pour tous, sans distinction. Le cimetière est complet et la dispersion des cendres réglementée.  Pressé ou pas, noir ou blanc, riche ou pauvre, important ou insignifiant le destin est commun, à partager, tous égaux. 

               Attention! Si la camarde est pressée, pas nous. Ne cédons rien sur les consolations auxquelles nous avons droit. Prenons le temps, tout le temps de naviguer en chantant : .....Encore heureux qu'il ait fait beau, qu'il ait fait beau, qu'il ait fait beau....................   Encore heureux qu'il ait fait beau et que la Marie-Josèphe soit un beau bateau.

 

 

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