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27 mai 2019

Martinet

                                                                       Martinet

               Ils sont arrivés, en plein milieu du mois de mai, sans prévenir. D'un coup leurs cris stridents m'ont fait lever la tête, regarder à travers les persiennes pour deviner ce qui se passe dans un ciel seulement peuplé jusque là par de rares moineaux rachitiques. Merveille de ce matin de printemps, ils étaient toute une bande à voltiger là haut, équilibristes des nuées croisant et recroisant leurs vols de paraboles irréalistes à la recherche d'insectes. Personne n'y croyait! On n'y pensait même pas tant les écolos nous annonçaient la fin des espèces et les voilà qui lâchent leurs cris sur la ville, un vrai bonheur cette vie qui résiste à tout.

               C'est vrai, les hirondelles au ventre clair sous le frac noir, je n'en vois plus jamais près de la maison. En ville leurs habitats ont disparu sous le béton, alors je me console avec les martinets tout de noir vêtus qui persistent à me rendre visite. Ponctuels malgré la pollution, la raréfaction des insectes et que sais-je encore, matin et soir ils organisent un fabuleux manège aérien, ravissant les distraits qui badent le nez en l'air, puis disparaissent soudain, comme aspirés par les hauteurs invisibles où on dit qu'ils planent sans jamais se poser, dorment en vol, copulent en l'air, ne s'approchant des maisons que pour déposer leurs oeufs dans des anfractuosités, des fissures, sous quelques vieilles tuiles épargnées des promoteurs d'immeubles. 

           Ils furent longtemps méprisés, souvent confondus avec les hirondelles, si familières qu'on pouvait presque croire qu'elles connaissaient les occupants des maisons dont elles revenaient tous les ans occuper la toiture, comme en visite de politesse, puis, à l'automne, perchées à la queue leu leu sur le fil électrique le long de la rue, leurs conciliabules sans fin offraient un spectacle attendrissant jusqu'à leur départ inattendu, toutes ensemble, vers une destination inconnue, si loin de l'autre côté de la mer. On tremblait pour elles.

               Difficile de croire que ces deux oiseaux ne sont pas de la même espèce tant leurs habitudes et leur aspect sont proches. Maintenant que j'ai perdu les amies de mon enfance dans le ciel, je prends le temps de découvrir l'élégance du martinet. Voyez plutôt cette fléche de plumes et d'harmonie monter droit au firmament jusqu'à ce qu'elle échappe à notre oeil, comme un symbole de liberté. Les pieds sur terre on voudrait bien disposer de tant d'espace pour se mouvoir, de l'écoute attentive des membres de la fratrie locale pour crier sa joie à tous vents, sans retenue. Impossible regret. Nous sommes civilisés que diable!

                  Enfin pas tous... J'entendais il y a peu dans un débat, une journaliste expliquer froidement  que la mort d'une espèce ne la dérangeait vraiment que si cette disparition pouvait mettre en cause le mode de vie des hommes ou leurs ressources. A défaut tant pis! On pouvait s'en passer. Un tel degré d'inconscience et d'égoisme chez cette personne a suscité en moi, homme plutôt pacifique, une sorte de réflexe archaïque. J'aurais volontiers fessé la péronnelle pérorante que j'écoutais à l'aide d'un martinet, vous savez ce manche de bois muni de lanières de cuir autrefois destiné à fustiger la sottise. Hélas, à juste titre son usage a disparu. Rien ne s'oppose aux horreurs proférées impunément sur les écrans. Pourrait-on essayer la raison ?

                 Avec ses semblables j 'en doute. Adieu les hirondelles! 


 

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  • Blog des mots. A partir d'une définition de mots simple, ce blog raconte l'actualité, effleure les sentiments, égratigne les gens et les hommes publics tout en s'efforçant de distraire. Gardons le sourire, les temps sont durs.
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