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20 octobre 2020

Emrinian

                                                                    Emrinian

                    Lorsque j'ai connu Jackie Emrinian elle était employée d'accueil dans une agence de notre entreprise. Un petit bout de femme à l'oeil vif, le teint bistre hérité de son peuple d'Europe centrale confirmait les origines de son nom, l'Arménie. Clients ou responsables hiérarchiques recevaient d'elle comme en cadeau le même bouquet de bonne humeur, elle souriait toujours aux visiteurs. Pendant plus de dix ans de collaboration je ne me souviens pas d'avoir vu Jackie en colère une seule fois.  

                   Sa famille était de Marseille. Il faut dire que les Arméniens et Marseille c'est une véritable histoire d'amour. Ils ont pris racine sur ces collines depuis la génération du génocide et s'en portent fort bien. Si bien qu'ils ont monopolisé dans le cimetière près de ma maison un carré de terre où ils se retrouvent entre eux. Je le note avec curiosité à chacun de mes passages, à mon avis une façon pacifique et légitime de se rapprocher après l'exil, de contrarier le drame dont ils ont été victimes. 

                    Pourquoi réveiller ce douloureux passé ? Près d'un siècle s'est écoulé depuis que les grands-parents de Jackie on été chassés de leur pays par la force. Malgré le refus de leurs auteurs de reconnaître les faits, on pouvait croire cette guerre finie. Hélas! Le haut Karabakh vous connaissez ? Le genre de région dont on ignore la géographie même s'il peut arriver qu'on tombe au hasard sur ce nom en se promenant dans la cartographie des confins de l'Europe. En plein Caucase la guerre vient de reprendre sur ce mince territoire où deux peuples proches devraient n'avoir rien d'autre à faire que s'entendre. On croit rêver. A croire qu'il n'ont rien appris de deux guerres mondiales et d'un siècle de conflits frontaliers sans issue. Après les Balkans, les Tatars : bienvenue au Moyen âge! 

                     Il faut croire que le malheur atteint toujours les mêmes. Jackie Emrinian faisait partie des salariés fondateurs de l'entreprise dans laquelle j'ai eu l'honneur de la croiser. Célibataire elle oeuvra avec force et fidélité à la réussite de notre activité. Responsable de son travail je respectais sa personne et son histoire, j'appréciais l'égalité de son caractère et sa bonne humeur. Quand elle prit sa retraite un signe de reconnaissance à la hauteur de l'engagement d'une vie aurait été bienvenu. J'en avisai mon directeur de région dont je requis la présence à la réunion que j'organisai. Malgré mon insistance le bougre trop bien payé dont c'était le devoir ne condescendit pas à nous rejoindre. Avec le temps le rôle éminent de Jackie avait été oublié. Furieux, je me souviens d'avoir contraint cet individu désinvolte à s'excuser et lui rendre hommage par téléphone. C'est tout ce que j'ai pu faire, je le regrette encore. La guerre inepte du haut-Karabakh arménien a fait remonter ce souvenir amer.

                      Après cet épisode je n'ai pas revu Jackie. Elle disparut en quelques semaines des suites d'une longue maladie. Je persiste à penser que le destin frappe souvent aux mêmes portes, en l'occurence la rage de l'impuissance pour moi, le chagrin fatal pour cette femme fille de l'exil.

                    S'il est encore temps je saisis l'opportunité. Pour le travail accompli au nom du passé partagé j''ose prononcer les mots de la mémoire. Jackie Emrinian. Estime et respect !                 

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