Stridence d'amour
Ouf! En quelques jours les éclats stridents des cigales se sont tus. C'est la fin de l'été, les cymbales de l'insecte ne résonnent plus sur les branches dépeuplées. Paix! La sieste des humains désoeuvrés par la canicule peut enfin reprendre dans la sérénité. Contrairement à la fable la cigale ne meurt pas de faim, sa vie finit irrémédiablement après l'amour. Quand on y pense ça fait froid dans le dos. Si un tel sort nous menaçait nul n'oserait plus se mettre au lit. L'aptitude des humains à faire l'amour pour leur seul plaisir est un grand privilège. Pensez, vous l'ignorez peut être, que la larve de la cigale a attendu dix ans sous la terre avant d'éclore pour une seule et unique copulation. Et encore faut-il que le mâle se fasse connaître par son lancinant charivari avant d'aboutir enfin puis disparaître. Sort cruel pour un dernier chant !
Quel insupportable tapage! On l'appelle chant mais c'est une erreur. La stridulation monotone dure de la pointe du jour jusqu'aux premières ombres du soir. Par temps de fortes chaleurs, des dizaines d'individus, parfois davantage, amplifient si fort leurs cris-cris qu'on s'en boucherait les oreilles. Par respect pour le rythme naturel des espèces nul n'ose entreprendre de s'en débarrasser. J'ai quand même appris que dans la bonne ville d'Aix un quidam séditieux peu scrupuleux aurait assigné en justice son maire, coupable à ses yeux de complaisance pour avoir laissé l'insecte proliférer en dessous de ses fenêtres. Ses voisins avisés se tordent encore de rire quand ils croisent en ville cet individu ridicule.
Un bruit chasse l'autre. Rien de perdu en cette fin d'été les politiques sortent du bois à grand fracas, abreuvent les citoyens de leurs bravades, forfanteries et autres chamailles. De loin leur ramage n'est guère plaisant, comme si eux aussi grimpaient aux arbres. C'est à celui qui trouvera le bon mot ou la formule idéale pour séduire le citoyen. Le tintamarre est d'autant plus élevé que la pauvreté des idées et l'incapacité d'agir ou de s'entendre apparaissent au grand jour. Heureusement les électeurs ne sont pas des femellles de l'espèce cigale, ils ne se laissent pas prendre aussi facilement. Par dépit une partie d'entre eux serait même capable d'envoyer les dirigeants trop orgueillleux méditer longuement sous terre, comme des insectes. Le destin de leur peuple s'en porterait-il plus mal ? Je me le demande.
Ah! S'il n'y avait pas les journées d'été que deviendraient les partis en cette saison ? A ceux qui s'étonnaient il y a 25 siècles de le croiser la lanterne allumée en plein soleil Diogène de Sinope répondait dit-on : "je cherche un homme".
Ce jour, au pays des lumières on cherche encore...des hommes vrais et la démocratie ? Une si longue attente, ce n'est guère rassurant.