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1 août 2012

lance

                                                           Lance

             On a, aux franges du Comtat, donné ce nom à une montagne. Contrefort éloigné du Vercors la Lance domine la plaine de loin et de toute part, un peu comme le Ventoux son grand frère plus célèbre. S’il rappelle la dureté de la pointe ou la flèche, ce sommet au féminin évoque aussi quelque élément protecteur, fièrement brandi au dessus des villages qui l’entourent. Une preuve de plus qu’on a parfois considéré sans raison que le registre de la bataille était réservé au genre masculin. Tout est dans l’apparence, la figure symbolique, le sens moral. L’inspiration surnaturelle que les hommes attribuent à la montagne a bien plus de valeur que le paysage grandiose.

            Il faut dire qu’elle en a connu des aventures la Lance. Mon copain François, expert régional s’il en fut, m’a un jour conduit en confidence sur un site mérovingien caché dans ses premières pentes. Là, au pied d’une falaise où tournait un aigle depuis on ne sait quand, des grottes avaient été aménagées en habitations dès la chute de l’Empire romain. Des silos à grains creusés dans le roc témoignent toujours par la difficulté de leurs accès aériens, que des générations entières y trouvèrent refuge et défense. Plus bas, au Moyen âge, à l’entrée des vallées, les nobliaux locaux érigèrent des tours encore debout de nos jours. Plus haut, près du sommet côté nord, à quelques heures de marche, la forêt arbore quelques pins de plus de quatre cents ans auxquels le temps a sculpté des contorsions étonnantes. Telle est la Lance que j’escaladais tous les ans pour célébrer Noël avec mon ami François Soubeyran.

            C’est dans ce décor que les maquis s’installèrent en 1942. La Lance, à l’inverse de son apparence escarpée est un vaste massif aux mamelons accueillants. Au début, c’est un un ancien résistant le père Rossignol qui me l’a raconté, la résistance faisait sourire. Rossignol était un vigneron âgé que je faisais parler à la table de sa cuisine sous un impressionnant râtelier de vieux fusils. Entre deux prunes macérées dans son vieux marc de raisin il dévoilait  l’histoire locale : au début en 1942, il n’y avait que quelques fuyards du STO et de maigres effectifs d’originaux aux motivations confuses. Les  paysans les traitaient de fous de vivre ainsi dans la forêt. Ce n’est qu’en 1944 que l’affaire devint sérieuse et qu’on fit parler la poudre en liaison avec le Vercors.

 Il n’empêche, puisque l’esprit d’indignation est à la mode dans toute l’Europe, saluons celui si proche de la résistance. Saluons ceux qui prirent les armes en grand péril, les célèbres et les anonymes, René Char le poète prophète et Guillet l’oublié dont j’ai fréquenté  le frère. On le tira dut lit un matin pour l’aligner au bord du fossé devant sa maison et le  percer de balles. Saluons donc tous les obscurs à qui il faut parfois un grand courage dire non et risquer l’opprobre. A travers eux je veux rendre hommage à ma mère qui refusa de faire chanter « Maréchal nous voilà » à ses élèves et en fut blâmée. Peu de chose penserez-vous. A juste titre si vous osez vous indigner contre les propos iniques de votre supérieur au bureau ou résister aux mesures absurdes qui conduisent votre usine à sa perte. Pas si facile.

            Dans Terre des hommes Saint EX fit le portrait, quelques mois avant la guerre, du sens moral élevé nécessaire aux anti héros pour tenir leur rôle au quotidien dans la famille, au travail, dans la cité. En ces temps où tout ne semble vivre que d'apparences et de célébrité je propose à son exemple de changer les repères et restaurer l’honneur et le respect comme vertus cardinales des relations humaines.  Tel, qui se regarde dans la glace en pensant à son destin serait mieux inspiré de faire des projets pour d’autres que sa personne ou son clan. Tel autre, qui  fréquente les Conseils d’administration pour satisfaire une avidité toujours plus démesurée, gagnerait à penser partage et fraternité.

            Au pied de la Lance, les paysages et les champs du Comtat ont été dessinés tels quels, il y a fort longtemps par les Gallo-romains. Plus haut l’âme cachée des Mérovingiens imprègne la montagne magique. Plus tard les vallons ombreux servirent de refuge aux assemblées du Désert, les Parpaillots fuyaient les colonnes de dragons du roi dans ses replis. L’esprit de résistance habite ces lieux pour toujours.

            Au fait si vous l’ignorez, sachez que Parpaillot est une contraction du nom de  papillon blanc qu’on donnait aux protestants, comme la chemise blanche dont ils avaient l’usage de se vêtir. Camisards indignés, à vos chemises !    

 

 

 

 

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Commentaires
C
Que de souvenirs familiaux dans ce qui tu décris si bien, je nous revois parcourant les sentiers escarpés de cette jolie montagne, cherchant frénétiquement les silos cachés dans un repli de la falaise.<br /> <br /> et puis aussi l'esprit d'indignation et de résistance que tu as insufflé dans nos âmes et qui raisonne en te lisant, toute une culture au final, qui nous a permis de nous temir debout, tout au long du chemin de notre vie......
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